Economie: Pêche : Mourir pour le poulpe pour que vive l’informel

Posté par: Visiteursur 18-12-2007 21:24:01 1578 lectures La semaine dernière, à 65km. de Dakhla, au point de pêche dit Laârich, deux hommes, apparemment cousins, ont réglé un litige entre eux deux à l’arme blanche. L’un a expiré son dernier souffle avant d’arriver à l’hôpital Hassan II de Dakhla et le second était encore recherché à l’écriture de cet article.

L’objet de leur rixe était le transport vers Laâyoune de 700kg de poulpe, pêchés en pleine période de l’arrêt biologique. Chacun voulait s’octroyer le droit de transporter le fameux céphalopode dans son Pick Up 4/4. L’un a sorti un objet contendant et a étripé l’autre.


Bien sûr, il y a eu mort d’homme et c’est à la police judiciaire de clarifier le meurtre. Mais au-delà du drame, « ce fait divers » fait remonter à la surface une autre catastrophe, à savoir l’extraction ininterrompue du poulpe et ce malgré l’arrêt biologique de rigueur.

Ce qu’il faut savoir c’est que les deux protagonistes, la victime et son meurtrier, ne sont que les transporteurs du produit d’une pêche illicite, perpétrée par de tierce(s) personne(s).

Et l’informel, pour utiliser le jargon du milieu, ne se limite pas à ces quelque 700kg de poulpe.

Le 13 courant, on a intercepté, dans un frigo de Dakhla, 5 tonnes de poulpes fraîchement sorties de la zone. La qualité de la fraîcheur de la cargaison, (les poulpes étaient encore vivants), ne laissait aucun doute sur la date de sa capture. Mais au grand étonnement de tous ceux qui étaient sur place, le propriétaire a sorti des documents officiels de l’ONP attestant comme quoi les 5 tonnes auraient été pêchées trois jours auparavant (le 10/12/2007) à Laâyoune par la pêche côtière. On vous laisse imaginer l’ébahissement des artisanaux sur place qui n’ont pas encore compris par quel miracle du dieu Poseïdon le fameux céphalopode a pu rester en vie durant trois jours et résister au transport et à la chaleur de la route de Laâyoune à Dakhla.

Le même jour, cette fois un peu plus au nord du littoral, précisément à Agadir, il a été procédé à la saisie de quelque huit tonnes de poulpe dans un camion à l’intérieur d’une unité de traitement de poisson située au quartier industriel de la capitale du Souss.

Selon le PV de la commission qui a constaté l’infraction,les responsables de la société en question( que nous nommerons pas) ont présenté des documents pour justifier 2330 kg uniquement de la cargaison. Il est aussi question de fausses déclarations de la société concernant la date, le poids et l’achat d’une partie de la cargaison ainsi que le numéro du camion transporteur. De plus, la société a présenté des documents qui se sont avérés concernant un autre camion dans une tentative de détourner la vigilance de la commission.

Aussi, d’autres documents présentés, pour justifier la cargaison, datent du même jour (le 13 décembre 2007) ont été délivrés au port de Laâyoun (délivré par l’Office National des Pêches de Laâyoun et envoyé par fax le même jour) alors que le camion se trouvait déjà dans l’enceinte de la société dès 14 h du même jour (Il est impossible qu’un camion puisse parcourir le trajet de Laâyoun au centre d’Agadir chargé et en 6 heures de route. Et ce sans compter avec les arrêts aux barrages de contrôle)

L commission a aussi relevé l’absence de factures d’achat de la totalité de la cargaison.

Le responsable de la société M. S.B.K., pour se disculper, déclare que le camion et sa cargaison sont hors sa responsabilité vu qu’il n a pas procédé au chargement en l’absence des documents attestant sa légalité. Il déclare que la cargaison appartient à M. E.A..

Ce n’est pas de l’avis de la commission qui considère que la responsabilité du propriétaire de la société est totale en ce qui concerne la cargaison et les produits de mer trouvés à l intérieur de son unité. La cargaison a été saisie et a cheminé à la halle d’Agadir pour vente aux enchères.

Le problème, c’est que toutes ces quantités de poulpes ont été pêchées pendant la période du repos biologique. Un arrêt qui ne doit prendre fin qu’au 31 décembre à 00H.

Le problème aussi, c’est que tant que l’interdiction de l’extraction est limitée à une partie du littoral, laissant la plus grande partie des côtes marocaines ouvertes (non pas à la pêche du poulpe, puisque le poulpe est surtout concentré au sud) mais à d’autres genres de spéculations et manipulations de vrais-faux documents telles celles citées plus haut.

En fait, est-ce là qu’une coïncidence ? l’essor de la pêche céphalopodiaire informelle ne prend de l’ampleur qu’en période de repos biologique, mais le plus surprenant est qu’en pareille époque, on remarque (dans les papiers « officiels de l’ONP ») une nette hausse des captures d’Azaïz, dans des ports qui en d’autres périodes n’en voyaient même pas les tentacules.

Il suffit de savoir que pendant la période d’arrêt biologique entre le 1er avril 2007 et 15 juin 2007, la halle du port de Nador, a produit à elle seule, quelque mille (1000) tonnes de poulpe. 1000 autres tonnes ont transité, en tout cas sur les papiers, durant le même laps de temps par les halles d’Agadir, Laâyoune et Casablanca.

Pour éviter tout amalgame et mettre fin à toute suspicion, la solution serait simple au yeux des professionnels de la pêche au poulpe, les hauturiers et les pêcheurs artisanaux. Etendre le repos biologique à tout le littoral marocain. Pourquoi le ministère ne les suit-il pas dans leur requête ? Mystère !

Une récente réunion de ces derniers avec le département de tutelle aurait tourné court.

Les premiers maintiennent leurs doléances contenues dans le manifeste rendu public en marge du salon de la mer d’Agadir par une quinzaine de représentants d’associations et de syndicats de la pêcherie.

D’abord et entre autres, ils revendiquent la généralisation du repos biologique à tout le littoral marocain. Mais sur ce point, certaines voix, au département de tutelle, rechignent à appliquer cette mesure sous prétexte qu’il faut en premier lieu étudier son « impact socio-économique » sur le segment.

Par ailleurs, la matrice faisant objet de plan de sauvegarde de la pêche poulpière octroie à chaque segment de la pêcherie un quota de capture, réparti proportionnellement aux sociétés et aux unités de pêche. Partant de là, les signataires du manifeste d’Agadir préconisent le recours à un système de contrôle des captures basé sur un système dit de triptyques.

Il s’agit en fait d’un carnet de bons en trois exemplaires attribué à chaque opérateur. A chaque fois qu’il débarque une quantité de son quota de captures, il restitue aux services concernés deux exemplaires d’un bon attestant du volume de sa production. Une fois qu’il n’a plus de triptyque, il n’aura plus le droit de sortir en mer pour le poulpe. Mais là aussi les opérateurs ne trouvent pas une oreille attentive à leur proposition.

En attendant, l’informel sévit toujours et la pêcherie sombre dans l’anarchie.

L'Opinion