Actualité Maroc: Mohamed Berriane : Le découpage régional actuel présente du bon et du moins bon

Posté par: Visiteursur 12-01-2010 20:12:00 2227 lectures Jusqu'en 1971, le Maroc a fonctionné avec un système hérité du Protectorat et visant un contrôle des populations.
à partir des années 70, sept régions qualifiées d'économiques mais sans pouvoir de gestion ont été mises en place dans un souci de planification.
Les 16 régions actuelles datent de 1997 mais présentent plusieurs défauts.


Régionaliser un pays suppose-t-il la révision de son découpage régional administratif ?

Le processus de régionalisation comporte toujours deux volets : le premier consiste à définir les ensembles régionaux, le deuxième concerne les aspects institutionnels, de gouvernance, etc.


Dans des pays qui nous ont précédés dans ce domaine comme l’Allemagne, les régions ne posent pas de problème de découpage. En Allemagne, pays qui n’a vécu que peu de temps en tant que Nation, certains Länder correspondent à d’anciennes principautés.

Au Maroc, avant la colonisation, il n’y avait que des territoires tribaux aux frontières mouvantes. La seule constante était cette grande coupure qui existait entre Blad El Makhzen et Blad Siba. Sous le Protectorat français, un travail a été effectué pour déterminer les groupes tribaux et leurs territoires et essayer de reconnaître à ces espaces tribaux une certaine légitimité, mais le but de cela était de mieux les contrôler.

Le Maroc avait reconduit cette logique au cours des premières années de son indépendance…
Dans une certaine mesure. Mais, on ne peut déterminer une région uniquement sur un critère ethnique ou tribal. Les protectorats ont légué au Maroc sept régions dans la zone du Protectorat français, et cinq territoires dans la zone sous Protectorat espagnol. C’était essentiellement des unités administratives de commandement, destinées à assurer une gestion de contrôle.

En 1956, la carte administrative du Maroc indépendant reproduira ce découpage tel quel, avec la même motivation. Jusqu’à la fin des années 80, le Maroc indépendant l’affinera en multipliant les provinces et les préfectures et en introduisant une hiérarchisation : une wilaya regroupe par exemple plusieurs provinces. Encore une fois, il s’agissait essentiellement d’un découpage destiné à gérer le territoire et la population.

En 1971, on avait additionné plusieurs provinces pour créer 7 régions, appelées régions économiques, qui servaient essentiellement de cadres spatiaux pour la planification. Ces «régions statistiques» n’avaient aucun pouvoir de décision ou de gestion.

Ce n’est qu’en 1997 que les 16 régions actuelles ont vu le jour, et qu’elles ont été dotées de conseils régionaux élus, de budgets, et d’un certain nombre de compétences, en particulier en matière de développement régional.

Selon quelle logique les 16 régions actuelles avaient-elles été découpées ?

à partir du moment où le nombre de régions est passé de 7 à 16, les régions sont devenues plus petites, il y avait donc plus de proximité au niveau de la gestion. On a également voulu innover par rapport aux régions économiques, qui avaient été fortement critiquées, et créer des régions dotées d’institutions, d’un budget, d’un conseil, etc. On a aussi introduit une petite couleur tribale pour que les régions correspondent un peu aux réalités humaines, ce qui s’est traduit par certaines appellations qui sont en relation avec les groupes humains. Elles épousent davantage les réalités économiques et humaines du pays.

Les régions de 1997 constituent ainsi un réel progrès mais, parfois, on n’a pas tenu compte du fonctionnement de l’espace marocain. Comment trouver une région fonctionnelle ?

Il y a d’abord ce qu’on appelle la polarisation. On parle aujourd’hui de villes qui polarisent leurs espaces. Une ville comme Agadir, par exemple, constitue une sorte de pôle d’attraction pour la région qui l’entoure et organise cette dernière. Le critère relationnel entre également en jeu : dans toutes les études effectuées, l’on se rend compte que le binôme urbain Fès-Meknès génère des échanges Est-Ouest depuis toujours, or le découpage n’a pas reconnu cette vie relationelle et chacune des deux villes se retrouve dans une région.

Par conséquent, même si un réel progrès a été enregistré par rapport au passé, des déséquilibres spaciaux demeurent. Dans le nord, le quatuor Tétouan, Tanger, Larache, Chefchaouen ne pose aucun problème car la région a toujours fonctionné ainsi y compris sur le plan historique : c’est ce qu’on appelle «la péninsule tingitane». En revanche, Al Hoceima, Taounate et Taza posent un problème car l’on se retrouve avec une région qui regroupe trois provinces qui ne sont pas liées : Al Hoceima a des relations beaucoup plus étroites avec Nador, car les deux villes appartiennent au Rif, central et oriental, mais Nador a été associée à Oujda pour constituer l’Oriental et Al Hoceima avec Taounate et Taza. Il aurait, par exemple, été plus judicieux de mettre Taounate avec Fès, car elle a toujours été dans l’orbite de cette dernière, avec Nador.

Et aujourd’hui ? La logique économique prendra-t-elle le pas sur la logique sécuritaire pure ?

Le découpage de 1997, qui est le premier en son genre, a ses défauts comme il a ses qualités. Il faudrait profiter de l’opportunité offerte par la création de la Commission pour la régionalisation pour retoucher ces découpages, tout en respectant une contrainte : ces régions doivent être composées d’un ensemble de provinces. Aujourd’hui, avec plus d’une quarantaine, on dispose de petites unités provinciales qui se prêtent à ce type d’assemblage. Il faut juste, à mon avis, cesser de donner la priorité au critère sécuritaire et regrouper des provinces de manière à ce qu’elles aient des liens économiques entre elles. La région de Souss-Massa-Draâ par exemple va jusqu’à Zagora, laquelle s’étend jusqu’à M’hamid Al Ghizlane, c’est-à-dire la limite avec l’Algérie, alors que le siège de la région se trouve à Agadir. Or les problèmes d’Agadir n’ont rien à voir avec ceux de Zagora, ni ceux de Ouarzazate avec ceux d’Agadir. L’on trouve aussi une aberration dans le cas de Casablanca : la ville constitue une région, mais le littoral au nord et au sud de Casablanca dépend de la province de Settat, capitale de Chaouia Ouardigha. Attention ! il existe aussi des régions qui ne posent pas de problème, comme Gharb-Chrarda-Beni Hssein, ou la région de Tensift-Al Haouz, trop étendue à mon avis, mais qui présente une bonne cohérence.

*Mohamed Berriane est géographe et co-auteur de l’ouvrage : «Maroc : régions, pays, territoires», éditions Maisonneuve et Larose, 2002


Houda Filali-Ansary
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