Jeunes et alcool, Pourquoi s'enivrent-ils autant ? : Pour les sociologues, les risques de la consommation précoce sont évidents

Date 25-02-2009 20:24:29 | Sujet : Société

Enfants ivres morts embarqués par une fourgonnette de police, jeunes délinquants se saoulant la gueule dans un jardin public, ou décor plus «bourgeois» avec petits jeunes sifflant des bouteilles dans les discothèques et les pubs casablancais…

La liste est hélas très longue… Qu'est-ce qui pousse nos jeunes à se saouler et à boire autant d'alcool pour «faire la fête» ? Pourquoi ce besoin de boire à tout prix une fois le week-end arrivé, alors que d'autres savent s'amuser sans alcool ?
Et si finalement ces excès éthyliques cachaient un malaise plus profond qu'il n'y paraisse ? Autant de questionnements qui concernent à la fois des psychosociologues, et des habitués «d'apéro forcené»
Karim L. a goûté à sa première bière à l'âge de seize ans. Il était encore lycéen, et donc mineur. Il a maintenant 26 ans et il avoue être addict aux boissons alcoolisées, pour ne pas dire «alcoolo».

«Au départ, je buvais plus pour être dans le même «trip» que les copains que par réel plaisir… mais, au fil du temps, sans m'en rendre compte, j'ai pris goût à l'alcool, et je ne m'imagine pas, neuf ans après cette première gorgée, ne prenant pas quelques verres après ma journée de travail». Karim ingurgite jusqu'à 6 ou 7 bières par jour, sauf le dimanche. «Jour de repos biologique», dit-il. Le samedi, avoue-t-il, il augmente la dose. Il se défonce complètement puisqu'il lui arrive de mélanger bière et alcool fort (whisky ou vodka), et de fumer quelques joints. «C'est la fin de la semaine, on s'éclate, mes copains et moi. Pourquoi ne pas croquer la vie à pleines dents tant qu'on est jeune ? On s'amuse bien ces samedis soirs, filles et garçons». Ils terminent leur cuite dans un night-club.

A l'aube, complètement bourrés, ces jeunes rentrent chez eux pour dormir.
Le lendemain, ils se réveillent complètement malades et nauséeux, souvent sans se rappeler comment ils ont terminé leur soirée ! Autre cas de figure, autre contexte. Mohamed, jeune Soussi, à peine 23 ans et fraîchement débarqué de la Région d'Agadir, avoue «descendre quelques canettes de bière régulièrement…quand ça va mal et qu'il a besoin d'oublier».

D'oublier quoi, nous sommes tentés de demander : «oublier un salaire minable de 1.500 DH par mois quand je sais que j'ai un loyer de 1.000 DH avec une femme à nourrir ! Comment supporter une telle misère ? dit-il amèrement. » Une chose est sûre c'est que tous les jeunes gens interrogés sont loin de s'enivrer pour les mêmes raisons, mais il existe un dénominateur commun : une souffrance psychologique évidente pour tous. Autre cas de figure non moins tragique : Adil «se lâche» comme il le dit, tous les vendredi et samedi soir. «Toute la semaine, je suis à bout de nerfs entre tensions et pressions professionnelles, et la routine casablancaise avec son lot de stress infernal m'éreinte littéralement. «Je retrouve d'autres amis, nous sirotons quelques bières (entre 6 et 8 bières chacun) avant de se rendre en discothèque où nous attendent une ou deux bouteilles d'alcool fort (whisky, vodka ou gin)». Puis ils quittent le lieu à 2 heures du matin, tous avec une bonne dose d'alcool dans le sang. Adil n'y va pas par quatre chemins. Avant d'ajouter, de manière mélancolique, «j'ai conscience que l'alcool remplace chez moi un vide affectif absolu, il vient en fait remplacer un manque dont je souffre cruellement…mais comment combler ce vide autrement que par l'alcool ?».

Cette phrase à elle seule, comme l'explique Dr Driss Bettache, psychiatre et professeur au CHU Ibn Rochd de Casablanca : «cela résume le malaise qui se cache derrière l'alcoolisme juvénile : c'est souvent le symptôme d'une névrose profonde». A Casablanca, il vous suffit de faire un tour dans le vieux centre-ville ou sur la corniche pour se rendre compte à quel point «il est facile» de se saouler ou se procurer de l'alcool à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit ! D'une part, il y a les «hammam bar» pour reprendre la formule d'un habitué, car ces lieux sont si glauques que cela ressemble à tout sauf à un lieu branché pour se détendre ! Mais il y a aussi ceux qu'on appelle les «garraba», comprenez les vendeurs clandestins d'alcool. Sans parler des boîtes de nuit et autres night-clubs qui ne désemplissent pas les week-ends, les supérettes et les supermarchés qui commercialisent toutes sortes d'alcool (bières, whisky, vodka ou gin…) font leur beurre sur le dos de cette jeunesse éméchée.

Nos jeunes «biberonneurs», comme on les appelle dans l'argot casablancais, à savoir Karim, Mohamed ou Adil sont loin d'être des cas isolés. Pas mal d'entre eux deviennent accros à la longue et ne peuvent plus se passer de leur dose quotidienne d'alcool, avec son lot d'accidents de la route, de cirrhoses, de rixes, de dépressions nerveuses, de relations sexuelles à risque et de vies de couples détruites... La liste des méfaits de l'alcool est longue. Si l'on en croit Dr Driss Bettache.

Il ronge le corps, le cerveau et le psychisme de l'homme. Plus grave : l'alcool est rarement consommé seul. Souvent il est associé à la consommation de psychotropes, de cannabis, ou d'héroïne pour potentialiser l'effet éthylique initial… «L'alcool est souvent inclus dans une conduite poly toxicomane. On trouve rarement des jeunes qui boivent uniquement de l'alcool», explique Dr Driss Bettache,. «Généralement, ça commence à l'adolescence. Le jeune débute par la cigarette. Ensuite, il goûte à son premier verre d'alcool, puis vient le haschich, et enfin les drogues dures (cocaïne, héroïne, LSD, amphétamines…)», conclut-il.

Et la prévention dans tout ça ?

La prévention ? Pour Dr Driss Bettache, elle doit avant tout venir des acteurs politiques qui doivent lancer un message fort aux vendeurs et aux différents établissements débiteurs d'alcool. Oui à une vente et une consommation de l'alcool mais dans le respect de la Loi.
Pour cela, il faudra plusieurs années de travail et d'implication réelle sur le terrain avant que l'on en voit les effets positifs. Pourquoi ? Car tous les acteurs concernés (vendeurs, consommateurs, pouvoirs publics…) n'ont pas l'habitude d'être moralisés. Pourtant c'est bel et bien un travail éducatif dont il s'agit.

Cela doit être initié par le ministère de la Santé, comme l'explique Dr Bettache, seulement c'est une action qui doit être reprise par l'ensemble des acteurs concernés. Y a-t-il des facteurs favorisant la consommation d'alcool par les jeunes ? Le milieu familial, bien entendu, est déterminant, explique le psychiatre : «Lorsque les parents boivent de l'alcool, dit-il, il y a de fortes probabilités que leurs enfants suivent. Il y a le contexte social et psychologique de la personne aussi, qui peut être favorisant. Toujours est-il que la vulnérabilité à l'alcool diffère d'une personne à l'autre. Il y a des personnes qui n'en deviennent jamais dépendants et qui boivent uniquement à l'occasion.

Mais il y en a d'autres qui deviennent addicts. Tout est fonction de la personnalité de l'individu et du contexte dans lequel il vit. Les risques d'une consommation précoce d'alcool ? Les accidents de la route, d'abord, partout dans le monde. Finalement, comme l'expliquent plusieurs sociologues, on peut déduire d'après d'innombrables témoignages que les Marocains boivent moins que les Européens mais plus «mal», dans le sens où la consommation d'alcool dans «la société musulmane marocaine n'est pas vécue comme un moment festif mais plus comme un moyen de désinhibition»

Firas ADAWI
LE MATIN



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