Pèlerinage. Le business de la Omra

Date 16-06-2007 23:19:39 | Sujet : Société

Avec ses 100 000 pèlerins et un chiffre d'affaires estimé à plus deux milliards de dirhams, le voyage religieux est un métier à part entière avec ses propres rouages. Tour d'horizon.

En Casablancaise moderne d'Anfa supérieur, Mme Safrioui a ses destinations de prédilection : Courchevel à Noël, Marbella l'été… et la Omra pendant le ramadan. Aujourd'hui, elle se rend à son agence de voyage pour préparer minutieusement son déplacement vers les lieux saints. Son entrée met l'agence en ébullition. Allergique au grand public, Mme Safrioui n'est pas du genre à opter pour une des formules classiques proposées par son voyagiste. Son circuit, elle le choisit à la carte : un vol en first class (sans champagne évidemment), grosse berline de location à l'aéroport et hôtels de luxe à deux pas des lieux saints. Ses palaces préférés : l'Intercontinental Dar Al Imane en face du Masjid Nabaoui(où se trouve la tombe du prophète) à Médine et le Sheraton Makkah avec une terrasse donnant sur Masjid Al Haram. Mais pour cette année elle ne veut plus de ce dernier hôtel. Elle veut essayer le Sofitel Makkah qui vient d'ouvrir ses portes. Surtout que celui-ci est plus proche de Bab Abdelaziz, la fameuse porte située en face du palais royal de la famille régnante d'Arabie. C'est le fief de la bourgeoisie marocaine à en croire ce voyagiste : “Comme à Saint-Tropez, à Sainte Mekkah, aussi, la jet set marocaine a ses petits repères. Devant ce grand portail de Masjid Al Haram, les hommes discutent affaires et politiques. Les femmes, elles, papotent au sujet de la dernière collection Chopard sur les vitrines des bijoutiers de la ville”, ironise-t-il.
Omra en vogue
Depuis plusieurs années déjà, la Omra est devenue un véritable phénomène de mode. Et pas seulement pour les nantis comme Mme Safrioui qui débourse 90 000 DH pour son escapade “ramadanienne” de dix jours. Chaque année, ce sont 100 000 Marocains qui se rendent aux lieux saints. On en trouve de toutes les classes et de tous les âges. Pour Othman Cherif Alami, président de l'Association Régionale des Agences de Voyages à Casablanca (ARAVC), la demande pour ce genre de voyages religieux est corrélée à l'amélioration du pouvoir d'achat. “On sent un véritable engouement les bonnes années agricoles comme celle que nous vivons actuellement”, explique-t-il. Et pour ratisser large, les voyagistes proposent une palette de formules. La moins chère coûte environ 10 000 DH. Mais à ce prix, inutile d'aspirer aux conditions de séjour de la Fassie. Le confort est réduit au minimum : un détour par une capitale arabe à l'aller comme au retour et logement à quatre dans une résidence située à un bon kilomètre de marche des lieux saints. “Ce genre de produit attire environ 30 % de notre clientèle”, confie Abdelhamid Rouissi, directeur du département tourisme à Transatour Maroc, leader sur ce marché avec plus de 1 000 clients pour cette saison. Le reste des fidèles opte pour des formules dites touristiques ou encore de luxe dont les prix varient entre 20 et 50 000 DH. Et contrairement à n'importe quelle destination, le prix ne dépend pas forcément de la durée du séjour. “Une formule économique qui permettrait de rester 31 jours entre la Mecque et Médine démarre à 13 000 DH, alors qu'un séjour de luxe qui ne s'étale que sur la dernière semaine de ramadan peut coûter cinq fois plus cher”, explique Rouissi.

Marges confortables
Et pour cause, le coût du transport aérien influe fortement sur le prix du séjour. “Pour les formules économiques, nous travaillons essentiellement avec les compagnies des pays arabes. Elles proposent des prix nettement plus compétitifs par rapport à ceux pratiqués par la RAM”, explique le président de l'ARAVC. Néanmoins, la Royal Air Maroc profite aussi de l'aubaine. Pour cette saison, elle programme trois à quatre vols à destination de Jeddah, en partance de l'aéroport de Nouaceur par semaine. L'implication de la RAM s'étend même en dehors de la haute saison du ramadan. “C'est grâce à la flexibilité de la compagnie que nous avons pu lancer des départs garantis pour la Omra en cours d'année. Auparavant, c'était plus compliqué car les prix négociés dépendaient d'un nombre minimum de 40 sièges à remplir”, explique le responsable de Transatour. Une telle activité est nettement plus rentable hors ramadan. En cette période de haute saison, la concurrence devient en effet plus ardue et les agences réduisent leurs marges au maximum. “Sur certains packages économiques, nous nous contentons d'une marge de 3%”, explique ce voyagiste. Mais à en croire l'ARAVC, les marges s'établissent généralement entre 8 et 15% “desquels il faut ôter 20% de TVA”, précise Othmane Cherif Alami.

Hadj, chasse gardée de l'Etat
Malgré l'importance de la manne, le business reste très éparpillé vu le nombre d'agences (on en compte 140 rien qu'à Casablanca). Un éclatement du marché qui apparaît clairement durant la saison du Hadj. Pour ce marché de 30 000 pèlerins, le ministère du Tourisme fixe des quotas aux agences de voyages. “L'attribution du quota dépend en principe des classements des agences lors de l'appel d'offres, mais le népotisme finit toujours par l'emporter, confie ce voyagiste. Sinon comment expliquer que l'agence classée première se retrouve avec un quota moins important que celle classée 10ème. L'année dernière en plus, tous les patrons des associations régionales ont eu une part de 100 personnes comme si c'était un forfait”. Mais si les quotas sont si dérisoires, c'est que l'Etat (à travers le ministère du Tourisme et celui des Affaires islamiques) ont la mainmise sur l'opération Hadj. Les deux tiers des pèlerins passent toujours par les guichets de la Mouqataâ pour décrocher leurs tickets vers les lieux saints. Et pour expliquer cette restriction, les responsables gouvernementaux sortent un argument implacable : le manque d'organisation des agences de voyages. “Il n'y a pas une année qui passe sans qu'un voyagiste peu scrupuleux sorte du lot pour ramasser le pactole et disparaître dans la nature”, avouent plusieurs responsables d'agence de voyages. Pour pallier ce risque, la Fédération nationale des agences de voyages vient récemment de créer un fonds de garantie. Doté de 2 millions de dirhams, celui-ci devra être opérationnel dès la prochaine saison du Hadj. Les voyagistes comptent d'ailleurs sur cette mesure pour convaincre les autorités d'externaliser l'opération pèlerinage. “Si on nous laisse faire, nous pouvons proposer des formules plus compétitives que celles de l'Etat, commercialisées entre 20 et 25 000 DH. Mais aujourd'hui avec notre quota limité à 95 personnes, nous préférons rester sélectifs en nous positionnant sur des produits plutôt haut de gamme”, explique Rouissi.

Visa “Moujamala”
Et pour cause, les voyages religieux ont beau être un business rentable, c'est aussi un véritable casse-tête en terme d'organisation. Il est impossible pour une agence marocaine d'intervenir en Arabie Saoudite sans passer par un tour opérateur local. “ça n'a rien à voir avec la clarté et l'efficacité des Européens. Avec les Saoudiens, les mauvaises surprises constituent notre lot quotidien”, explique ce professionnel. Même la formalité d'octroi de visas est devenue nettement plus complexe. L'onde de choc sécuritaire, après le 11 septembre, n'a pas épargné la première destination des musulmans. Désormais, le ministère du Hadj saoudien suit lui-même l'octroi des visas Omra ou Hadj. L'ambassade d'Arabie Saoudite au Maroc est réduite au simple rôle de caisse enregistreuse. “Des personnes peuvent avoir leur visa en quatre jours, d'autres en quinze. Evidemment cela crée des perturbations pour l'organisation du voyage”, explique ce patron d'agence. Néanmoins, il y a toujours des moyens pour éviter cette pénible procédure. Nombre de Marocains obtiennent un visa d'affaires - qui en principe ne permet l'accès ni à la Mecque ni à Médine - avant de tenter de se faufiler entre les barrages douaniers. Les plus nantis, comme Madame Safrioui, vont encore plus loin. Eux, ils décrochent un visa Moujamala (de complaisance), un sésame qui ouvre toutes les frontières saoudiennes. Même dans la demeure du prophète, les VIP gardent certains privilèges.

Source : Telquel



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