Brahim El Mazned : “Timitar doit tout à Aziz Akhannouch”

Date 13-07-2009 21:32:20 | Sujet : Culture & Divertissement

Un proverbe juif dit qu’on ne peut donner que deux choses à ses enfants : des racines et des ailes. Les pieds bien ancrés dans sa culture soussie, Brahim El Mazned parlait uniquement l’amazigh jusqu’à l’âge de 7 ans, âge où il découvre à l’école une langue étrangère pour lui ? : l’arabe. Depuis, il s’est bien rattrapé, toujours dans un avion, vers une nouvelle expérience musicale. Le gamin de bidonville, qui rêvait de beaux voyages, a bourlingué à travers le monde à la recherche de sons différents. Un jour à Haïti, embarqué dans une cérémonie vaudou. Un autre à Oulan Bator en Mongolie, à la découverte d’une chanteuse locale à programmer à Agadir. Les destinations mythiques s’amoncellent pour le voyageur incessant qu’il est : Samarcande et la route de la soie, Tombouctou et Zanzibar dont les seuls noms évoquent des contrées exotiques et inaccessibles. Ulysse de la musique, il ne joue pourtant d’aucun instrument…

Antécédents

1967. Naissance à Agadir 1979. Agé de 12 ans, il travaille dans une usine de sardines 1987. Obtient son baccalauréat 1988. Est l’un des premiers Marocains à franchir la frontière réouverte avec l’Algérie. 1995. Animateur culturel à l’Institut français d’Agadir. 2004. Nommé par Aziz Akhannouch directeur artistique du festival Timitar d’Agadir 2008. Sélectionné parmi les cent acteurs du développement durable dans l’ouvrage Les aventuriers de la culture.
Smyet bak ? Mohamed El Mazned

Smyet mok ? Son prénom est Ijja, mais j’ignore son nom de jeune fille. On ne nous apprend pas les noms de famille des mamans chez les Soussis.

Nimirou d’la carte ? Çà, par contre, on nous le fait apprendre par cœur. J 259 929

Vous avez eu des inquiétudes pour Timitar après le drame de Mawazine ? J’étais inquiet bien avant. Depuis la première édition de Timitar, j’ai la peur au ventre du premier au dernier jour, par crainte de l’accident qui viendrait tout gâcher.

Cette année, vous avez pris des mesures de sécurité spéciale ? Non. Nous avons tenu les réunions habituelles et hebdomadaires avec les responsables de la sécurité. Il faut dire que nos grandes scènes sont placées dans des espaces totalement ouverts. Le seul espace fermé est le Théâtre de Verdure, où la programmation plus pointue attire donc beaucoup de monde.

La concurrence de Mawazine et sa pléthore de stars vous font-elles de l’ombre ? Mawazine est impressionnant par ses moyens, mais il n’y a pas de comparaison à faire. Timitar n’est pas un festival de stars. Nous avons une ligne éditoriale qui met en valeur la culture amazighe et des musiciens moins médiatisés.

Oui, mais sans stars, pas de sponsors… Les sponsors veulent des festivals “feux d’artifice”. Ils devraient accompagner un événement culturel dans la durée, plutôt que s’attacher à l’immédiateté.

Comment Aziz Akhannouch, le mentor de Timitar, vous a-t-il proposé la direction artistique du festival ? Il m’a demandé de lui présenter un projet. J’avais déjà une idée de festival en tête, que je lui ai soumise trois heures après notre premier entretien. Deux jours plus tard, il l’a validée en me disant de foncer. Timitar doit tout à Aziz Akhannouch.

Les militants de la cause berbère profitent de Timitar pour déployer des drapeaux amazighs et scander leurs revendications lors des concerts. Vous en pensez quoi ? Ils étaient très vindicatifs lors de la 1ère édition, notamment pendant le concert d’Idir. Ils ont profité de l’occasion pour laisser éclater leur rage, et s’exprimer sur la place publique après des années de silence. Aujourd’hui, ils se sont calmés, ayant compris que Timitar accordait une visibilité à la culture berbère.

Vous avez fait un voyage en Israël. Vous n’avez pas peur d’être accusé de pro-sionisme ? Non du tout. Primo, j’y suis allé pour assister à un festival de musique organisé par des Palestiniens dans la partie arabe de Jérusalem. Secundo, je ne suis pas panarabiste, juste marocain avec un regard amazigh. J’essaye d’ailleurs d’être fidèle à la définition du mot amazigh qui signifie “homme libre”.

Dans la vieille querelle entre Soussis et Fassis, vous vous situez où ? Je considère que tous les Marocains, y compris les Fassis, sont en partie amazighs. J’ai d’ailleurs beaucoup d’amis fassis.

Vos parents donneraient leur bénédiction à votre mariage avec une Fassia ? Pour être franc, ils préféreraient que j’épouse une Soussia (rires).

Vous avez grandi dans un bidonville d’Agadir. C’était comment le quotidien ? Vivre dans un kariane vous fait mûrir très jeune. J’ai eu une enfance dure, je n’avais ni eau ni électricité. Nous allions aussi ramasser du bois pour nous chauffer et cuisiner. Mais les gens étaient solidaires entre eux, et nous mangions à notre faim. Mes parents ne me poussaient pas à faire des études, acceptant cette fatalité.

Vos parents doivent être fiers de vous maintenant que vous êtes un notable de la ville. Oui, bien qu’ils ne savent pas trop ce que je fais dans la vie. Ils ne comprennent pas bien mon métier, car directeur artistique n’est pas une profession qui s’apprend à l’école. Ils auraient préféré que je sois avocat ou médecin.

Jouez-vous d’un instrument de musique ? Non. J’ai suivi trois mois de cours, mais le mode d’enseignement m’a énervé. Sur le plan pédagogique, ce n’était pas sérieux. C’est pour ça que je milite pour l’enseignement de la musique au sein des écoles publiques.

Vous avez combien de CD de musique ? Je ne les ai jamais comptés. A vue d’œil, je dois en avoir plusieurs milliers.

Vous les avez tous écouté ? Non, pas encore. Bien que j’écoute de la musique tout le temps : chez moi, en voiture, en voyage.

Le chanteur mythique d’Izenzaren, Abdelhadi, vit en ermite depuis des années. Comment avez-vous réussi à le convaincre de monter sur scène à Timitar ? Je lui ai souvent rendu visite dans la grotte troglodyte où il s’est retiré. On buvait le thé en mangeant des tajines de moules qu’il ramassait lui-même. Artiste atypique et hors du temps, j’essaye de le convaincre de reprendre le chemin des studios. Mais il n’est pas encore prêt à enregistrer.

Il représente quoi pour les Soussis ? Une sorte de Jim Morrison local ? Je le comparerais plutôt à Elvis Presley.

Vous programmez beaucoup d’artistes de la nouvelle scène. Vous les écoutez ? Bien sûr, mais je n’aime pas tout. Il y a des réussites et des déchets.

Et le rap patriotique, vous aimez ? Je n’étais déjà pas fan de la musique watanya. Aujourd’hui, il n’y a aucune raison que j’apprécie un discours institutionnel déclamé sous une autre forme musicale.

Vous négociez souvent avec les groupes de la nouvelle scène. Ils n’auraient pas pris la grosse tête pour certains ? Peut-être. Deux phénomènes ont développé cet esprit-là. Des sponsors opportunistes ont sauté sur certains pour leurs campagnes de publicité. Les médias ont aussi leur part de responsabilité.

Le côté banlieue allemande d’Agadir ne vous exaspère pas ? Non. Le tourisme balnéaire prisé par les Allemands est essentiel pour l’économie de la ville. On ne peut pas miser que sur les touristes baba cool et les bobos.

Un dernier mot sur Michael Jackson ? Sa mort m’a beaucoup peiné. Adolescent, Thriller est la première cassette que j’ai achetée quand j’ai eu droit à un transistor.

Source:Telquel



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