Un article de Othman Benjelloun : Comment le Maroc peut bénéficier du modèle de développement chinois

Date 30-10-2006 18:30:00 | Sujet : Economie

Depuis plus de 25 ans, M. Othman Benjelloun siège au sein du CSIS en tant que Conseiller international. A ce titre, il a pris part à la réunion des International Councillors qui s'est tenue du 11 au 13 octobre à Pékin, en République populaire de Chine, sous la présidence du Dr Henri Kissinger, ancien secrétaire d'Etat américain et prix Nobel de la Paix.

Le CSIS, Centre des études stratégiques et internationales, basé à Washington, rassemble plusieurs personnalités du monde politique, des affaires et de la culture.
Plus de 25 programmes sont conduits par le CSIS autour de 3 thèmes essentiels : la politique de sécurité et de défense, les défis globaux que représentent les questions de démographie, de sécurité énergétique, de santé, des technologies, du système économique et financier international ainsi que les transformations régionales dans le monde.

M. Othman Benjelloun donne, dans le présent article, la quintessence de ces 3 journées de rencontres auxquelles ont également participé plusieurs membres du gouvernement chinois.

Notre programme de travail, au cours de trois jours denses, a porté sur la politique étrangère, les défis démographiques et les tendances sociales en Chine, les réformes financières, la stratégie de croissance, menée à travers la science, la technologie et l'éducation, l'environnement de l'investissement, les ressources naturelles, l'environnement de l'investissement, les ressources naturelles ainsi que les perspectives de développement de ce pays-continent.

De ce qu'on a vu et entendu à Pékin, qu'est-ce qui interpelle l'observateur étranger, hormis les chiffres impressionnants qui nous furent alignés, concernant la Chine, ceux d'une superficie de près d'un million de km2, d'une population d'un milliard 300 millions d'habitants, disposant de 11.000 quotidiens et 5.000 magasines, 600 stations de radio et 1.000 chaînes de télévision, de 111 millions d'internautes et de 710 millions de porteurs de mobile.

Une première impression forte a trait à la mobilisation exceptionnelle des participants venant des 4 coins du monde, pour comprendre le miracle économique chinois et saisir les enjeux d'un pays qui devrait représenter, dans quelques années, l'épicentre économique du monde, avant d'en être, sans doute, l'épicentre géopolitique.

L'économie chinoise connaît en effet le taux de croissance le plus élevé au monde sur une longue période (10 % l'an), sur trois décennies presque ! Elle est devenue, ainsi, la 4e plus grande puissance économique et la 3e plus grande nation commerçante.

Cette croissance rigoureuse est tirée autant par la consommation que par l'investissement, lui-même nourri par des niveaux d'épargne exceptionnels beaucoup plus élevés que dans n'importe quel autre pays en voie de développement ! Pourtant, la Chine est un pays faiblement doté en ressources naturelles (à l'exception du charbon) mais dont la très forte croissance l'a positionné en tant que 2e plus important consommateur de pétrole, après les Etats-Unis.

En effet, entretenir une population aussi gigantesque, la nourrir, la loger et, en général, satisfaire ses besoins, requièrent de consommer des ressources considérables, qu'exacerbent, par ailleurs, des tensions dues aux migrations internes importantes qui dépassent le million de personnes, le vieillissement de la population, le déséquilibre inquiétant du ratio entre les genres masculin et féminin.

Se surajoutent à ces défis, la nécessité d'élargir, au-delà des 55 % de la population active urbaine ou des 11 % des ruraux, la couverture sociale par un système public de retraite performant. Les défis de la Chine sont également liés à l'environnement : parmi les 20 villes les plus polluées au monde, 16 sont chinoises, le miracle économique s'étant accompagné d'une dégradation sans précédent de l'environnement qui coûte jusqu'à 8 % du PIB annuel.

Dans ce contexte, l'économie chinoise demeure très ouverte aux échanges et investissements internationaux. Elle l'est deux fois plus au commerce extérieur que celle des Etats-Unis et trois fois plus que celle du Japon. Le ratio des importations par rapport au PNB, par exemple, a été multiplié par 6 au cours des 20 dernières années !
Les biens manufacturés à partir des composants importés de l'étranger représentent, désormais, plus de la moitié des exportations totales chinoises.
La surévaluation de la devise chinoise (le “Renmibi”), estimée de 20 à 40 % vis-à-vis du dollar, contribue activement à l'élargissement de ses surplus commerciaux, notamment vis-à-vis des Etats-Unis.

La Chine est, par ailleurs, en voie de devenir très prochainement un Etat technologique avancé, capable d'être compétitif à l'échelle planétaire.
Ce pays forme, en effet, quatre fois plus d'ingénieurs que les Etats-Unis, plus particulièrement des ingénieurs dans le génie civil et électronique qui sont très sollicités pour les gigantesques investissements en infrastructures et de construction.

En tant que Marocain, comment envisager que notre pays puisse bénéficier de cette dynamique vertueuse chinoise ?
Notre groupe, BMCE Bank, a résolument fait le pari chinois depuis déjà 6 ans ! Dans un contexte de diversification de l'économie marocaine de ses sources d'échanges et d'investissements, s'implanter à Pékin permet d'offrir les services d'un observatoire de nombreuses opportunités économiques et financières prévalentes en Chine, de recueillir des informations in situ sur la réalité économique, culturelle et sociale si riche de ce pays et, ainsi, de disposer d'un outil de promotion de l'investissement réciproque sino-marocain.

Comment, pourrait-on, en effet, aborder, non pas le marché chinois, mais les marchés chinois, tant cette économie continentale est vaste, tant ses disparités régionales sont considérables, tant son potentiel est multidimensionnel, si nous n'étions pas présents physiquement, si nous ne disposions pas d'un véhicule privilégié de communication sur les atouts et potentialités du Royaume et sur les services financiers multi-métiers offerts par un groupe privé national, engagé dans la banque, l'assurance, l'industrie et les nouvelles technologies ?
Les statistiques relatives aux échanges et investissements maroco-chinois révèlent un potentiel énorme d'amélioration, au-delà du milliard de dollars d'échanges réalisés jusqu' alors.

Promouvoir les relations sino-marocaines répond également à une exigence de fidélité à l'Histoire.

Celle-ci nous apprend que les relations maroco-chinoises datent de la fin du premier millénaire, vers les années 1990, et que le personnage qui a réellement fait connaître la Chine, pas seulement aux Marocains mais aux Arabes en général, a été le célèbre voyageur marocain Ibn Batouta, grâce au périple qu'il a effectué dans l'Empire du Milieu et à travers le monde, au 14e siècle.

Au cours de la période contemporaine, le Maroc fut l'un des premiers pays, bien avant plusieurs pays occidentaux, à reconnaître la République populaire de Chine, en 1958. Nos deux pays ont su développer depuis et au fil des ans, une coopération naturellement bénéfique dans des domaines ayant abouti à l'amélioration des infrastructures de base et des conditions de vie des populations.

Au courant de ce mois d'octobre 2006, les autorités publiques chinoises ont dévoilé une politique nouvelle, visant à renforcer le développement économique et social de la Chine d'ici 2020. Elles ont indiqué très clairement, qu'on devait passer d'une politique basée sur la lutte des classes à une politique de “société harmonieuse”. Or, cette société harmonieuse requiert, précisément, la réduction des inégalités et la lutte contre la corruption avec plus de démocratie, de respect de l'homme, de limitation des inégalités géographiques et de revenus, la réduction du chômage, le maintien de l'ordre public et la protection de l'environnement.

Des secteurs prioritaires furent identifiés : le développement rural, l'éducation, les services médicaux, l'emploi, la protection environnementale, la distribution de revenus et le système de sécurité sociale. Les premières mesures appliquées au nom de cette “Société Harmonieuse” ont concerné la suppression de l'imposition du secteur agricole, la valorisation du salaire minimum et l'élargissement de la couverture sociale.

Depuis le slogan “Enrichissez-vous” lancé par Deng Xiaoping en 1978 au peuple chinois, le Président Hu Gintao, aujourd'hui, appelle au renforcement, davantage encore, du secteur privé, laissant entendre que la réussite de cette politique de “ société harmonieuse ” aurait un impact considérable, non pas simplement sur la Chine mais sur l'humanité tout entière, compte tenu de son poids démographique et économique.

Quelle ère exceptionnelle nous vivons alors en ce XXIe siècle où des pays d'histoires, de cultures, d'orientations idéologiques et de racines différentes se retrouvent autour de “ l'humain ”, autour de la consolidation des droits économiques, sociaux et culturels, autour de la lutte contre les disparités sociales et territoriales !

Ne sont-ce pas ces mêmes principes globaux qui ont présidé au lancement, en mai 2005, de ce “chantier de règne” lancé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI qu'a représenté l'Initiative nationale de développement humain qui vise à réduire la pauvreté, la précarité et l'exclusion sociale, à développer des capacités, à soutenir les activités génératrices de revenus, à améliorer les conditions d'accès aux services et infrastructures de base telles que la santé, l'éducation, les routes, l'eau, l'assainissement ou la protection de l'environnement…. ?

Chacun de nos deux pays, dans le respect de leurs traditions politiques, culturelles et civilisationnelles, recherche, selon sa propre voie, à consolider une société moderne, qui réhabilite les valeurs de solidarité sociale et spatiale, qui compte sur la société privée et civile et, en définitive, promeut un développement économique plaçant au centre de ses priorités l'élément humain, l'emploi des jeunes, la promotion du monde rural, la qualification des ressources humaines et la promotion des catégories sociales les plus démunies.

C'est sans doute là la leçon la plus édifiante parmi tant d'autres, liées aux ingrédients de la réussite économique chinoise, que j'ai tirée d'un exaltant voyage au cœur de l'Empire du Milieu, dans la Chine éternelle…
Depuis plus de 25 ans, M. Othman Benjelloun siège au sein du CSIS en tant que Conseiller international. A ce titre, il a pris part à la réunion des International Councillors qui s'est tenue du 11 au 13 octobre à Pékin, en République populaire de Chine, sous la présidence du Dr Henri Kissinger, ancien secrétaire d'Etat américain et prix Nobel de la Paix.

Le CSIS, Centre des études stratégiques et internationales, basé à Washington, rassemble plusieurs personnalités du monde politique, des affaires et de la culture.

Plus de 25 programmes sont conduits par le CSIS autour de 3 thèmes essentiels : la politique de sécurité et de défense, les défis globaux que représentent les questions de démographie, de sécurité énergétique, de santé, des technologies, du système économique et financier international ainsi que les transformations régionales dans le monde.

M. Othman Benjelloun donne, dans le présent article, la quintessence de ces 3 journées de rencontre auxquelles ont également participé plusieurs membres du gouvernement chinois.

Par : Othman Benjelloun
Source : Le Matin



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