Culture & Divertissement: Tanger aiguise son jazz

Posté par: Visiteursur 03-06-2008 00:31:19 2242 lectures Le temps partiellement pluvieux n’aura finalement pas réussi à plomber le moral de Tanjazz qui s'est clôturé hier soir . Il faut dire qu’avec neuf éditions dans sa malle, l’événement tangérois est rodé à ce genre d’imprévus. Seule la place des Nations, rebaptisée scène Véolia pour les besoins du sponsoring, aura subi les quelques dommages collatéraux du climat.

« Avec un temps plus radieux, le public serait venu en plus grand nombre » assure ce jeune Tangérois venu avec sa femme et son enfant assister à la soirée gratuite proposée dans le centre ville. « Il faut dire aussi que le jazz est un genre musical assez particulier auxquels les Marocains sont peu habitués » rectifie le jeune cadre.


Un avis que partage le directeur du festival, Philippe Lorin, qui précise toutefois que c’est grâce notamment à ce festival, qu’est en train de se constituer au Maroc un public de jazz. Une affirmation pas encore tout à fait vérifiée place des Nations où le public ignorait tout du Circular Time, programmé cette soirée.

Un détail vite évacué par l’énergie tonitruante des New-yorkais qui en deux notes trois mouvements auront embarqué l’assistance dans le sillage d’un jazz-blues mâtiné de musique caribéenne.

« C’est incroyable, les gens ici sont très vite absorbés par le rythme, même si à priori cette musique n’entre pas dans leurs mœurs » s’étonnera plus tard dans la soirée, Bart Douglas, l’atypique chanteur et compositeur du groupe, l’unique blanc de cette formation qui puise sa force du melting-pot new-yorkais dans lequel ils sont tombés lorsqu’ils étaient petits.

« Ce grand lieu de rencontre ethnique qu’est New-York nous permet de communier avec différentes cultures » renchérit Tony Lewis, batteur du groupe qui a joué avec des maîtres comme B.B King ou Little Richard et qui inlassablement note sur un calepin les groupes marocains - comme Nass El Ghiwane et Hamdaouia - qu’on lui conseille d’écouter.

L’autre groupe programmé pour la soirée publique n’est autre qu’un ancien baroudeur, Fouad Hani, qui a fréquenté de nombreux festivals, notamment français « bien avant que cela ne deviennent à la mode, bien avant que la fusion souirie et tout le mouvement qui va avec ne soient portés sous les feux des projecteurs » prétend le Marocain féru de musique africaine, remonté de ne pas être plus souvent invité aux festivals nationaux.

Pourtant, accompagné des Yabato Nakimya, l’inventeur de la Bambaraoui, un mélange de jazz, de reggae et de funk, maîtrise l’art de mettre dans sa poche l’auditoire. Ce soir, le public en redemandait encore place des Nations. Mais l’extinction des feux aura lieu comme programmé, avant 23h00. Pour prolonger la soirée, c’est plus loin que la foule était conviée, là où bat vraiment le cœur de Tanjazz. Le festival a cette année choisi le Palais des Institutions italiennes pour installer ses quartiers réservés.

Ici l’ambiance est tout autre. L’accès est payant et les nombreux festivaliers, venus souvent swinguer jusqu’au petit matin, ont une apparence bien plus posée. Dans ce somptueux cadre du palais Moulay Hafid, les convives côtoient les musiciens, les repas sont servis dans les patios ou dans l’antre de salles adjacentes où coulent à flot les sons cuivrés.

Tanger la cosmopolite, celle autrefois immortalisée par le septième art, semble un instant renaître autour du splendide jardin du Palais. Seul bémol de la soirée, l’absence pour cause de santé de Biréli Lagrène, un des plus grands guitaristes au monde nous diront certains jazzmen. Mais la magie a incontestablement opéré. Tanjazz peut continuer à exister, du moins pour les initiés.

« Tout ça, c’est du gâchis ! »

Planté devant la scène des Nations à Tanger où sont programmés les concerts gratuits de la neuvième édition de Tanjazz, Ahmed regarde le spectacle avec un certain détachement.

Venu dans la cité du Détroit avec pour projet de défier l’eldorado européen, le jeune Slaoui porte un regard plutôt désabusé sur Tanjazz ainsi que sur l’éclosion des festivals dans le Royaume.

« Tout ça c’est du gâchis, les organisateurs et les responsables devraient plutôt utiliser cet argent pour améliorer la situation économique des gens » affirme Ahmed qui a rejoint depuis quelques mois le Nord, une région vendue à coup de campagnes promotionnelles comme un chantier économique en pleine expansion.

L’opinion d’Ahmed qui, en attendant des jours meilleurs, vend à la sauvette des CD piratés, est partagée par de nombreuses personnes. Pour les organisateurs de Tanjazz qui ont jugé utile d’évoquer la dimension économique et sociale de leur projet dans une note de présentation du festival, ces critiques n’ont pas lieu d’être.

Des événements culturels comme Tanjazz, expliquent-ils, sont des « avantages stratégiques déterminants » pour le développement de la ville. Et de rappeler à titre d’exemple que le festival de Jazz de Montréal a généré en 20 ans 10 000 emplois et rapporte chaque année 300 millions de dollars canadiens en retombées directes et indirectes.

Plus proche de nous, le festival d’Essaouira en est la parfaite illustration. Les statistiques dévoilées à l’occasion de la dernière édition et reprises par plusieurs études montrent clairement que la grand messe gnaoua a permis de faire renaître économiquement l’ancienne Mogador.

Quant à l’apport culturel de la musique, sa portée incontestable n’est pas quantifiable. Des festivals comme Tanjazz ont probablement beaucoup de choses à apporter à Ahmed.

Pour l’instant, l’homme observe assez médusé la scène mais refuse pourtant de quitter la place et se surprenant même à acquiescer de la tête en écoutant le cri de révolte d’un Fouad Hani qui à travers la musique appelle à plus justice.

SaĂŻd RaĂŻssi
Menara