Economie: Transparence budgétaire : Classement immérité pour le Maroc?!

Posté par: Visiteursur 19-10-2006 19:23:45 1556 lectures • Un index classe 59 pays : le Maroc est 53e !
• Transparency Maroc promoteur de la démarche
• Les intellectuels n’utilisent pas assez ce qui est à leur portée


Quels impacts des choix budgétaires sur les gens? Qui le sait et qui peut le dire ? Qui veut le savoir ? Le Maroc ressort pratiquement parmi les cinq derniers de la classe en matière de transparence budgétaire. Pourtant, il remplit la plupart des critères retenus dans l’enquête, alors que s’est-il passé?


En effet, les documents budgétaires principaux produits par le Royaume sont accessibles pour qui veut les consulter sur Internet, en deux langues qui plus est! Reste à leur donner du sens pour que chacun comprenne et s’y retrouve et aussi pour que le citoyen veuille bien ouvrir les yeux sur ce qui est à sa disposition. Et cela n’est pas du tout gagné.

Malgré la vision «e-gouvernementale», la connexion entre l’information claire de la dépense publique et le citoyen est à très bas débit…

L’évaluation de la dépense publique échoit certes à la Cour des comptes. Mais celle-ci peine à installer sa réforme tant dans la méthode de production de ses rapports que dans le sens de ses rapports.

Un nouveau travail sur l’accès à l’information se pose la question. L’esprit de cette initiative est d’inciter la société civile à renforcer sa capacité à influer et contrôler les choix et processus budgétaires.

Une enquête a été menée dans 59 pays pour estimer le degré de l’accès à l’information budgétaire.

• La perception, plus forte que la réalité

Pour couronner le classement du Maroc dans la perception de la corruption (77e en 2006), celui-ci est classé en 53e position dans l’index du budget ouvert. Fait étrange, l’Algérie le devance (47e). On y maîtriserait mieux qu’au Maroc l’impact des dépenses budgétaires sur la vie des gens. Mais attention, ce sont des universitaires ou militants associatifs qui répondent aux questions. La perception est ici plus importante que la réalité (cf. encadré).

Un questionnaire de 122 à choix multiples a servi de base pour évaluer la manière dont sont diffusés les documents budgétaires : diffusion de l’information budgétaire et projet de budget à présenter par l’exécutif au Parlement, processus budgétaire, etc.

Le Projet international de budget ouvert (International Open Budget Project - IBP) est l’instigateur de ce travail. La démarche est née il y a 20 ans aux Etats-Unis avant de s’étendre à d’autres pays, non sans problème de vision.

Pour sa première comparaison avec 59 pays, par un rapport sur l’index du budget ouvert -que Transparency Maroc entend promouvoir-le Maroc est placé dans le groupe «accès limité ou pas d’information aux citoyens», avec un score de 19%. Il est avec l’Egypte, l’Angola, le Tchad, le Burkina Faso, la Mongolie, le Nigeria, le Vietnam dans le groupe noté entre 0 et 20%. La Chine, la Tunisie ne sont pas sur la liste. La Chine a demandé pour sa part à ne pas figurer dans l’enquête après y avoir participé: Mais l’on ne sait pas qui en Chine a demandé ce retrait ni pour quelle raison. Il n’est pas impossible que, au vu de la qualité très aléatoire du travail, les participants à l’enquête aient demandé à ne plus en faire partie, à moins qu’ils aient eu des pressions politiques… Nul ne sait.

• Le mythe de l’intérêt général

Pourtant, pris un à un, les documents sur lesquels se sont basés les enquêteurs sont bel et bien disponibles au Maroc: projet, loi de Finances, déclarations prébudgétaires, rapport final. Alors l’erreur vient-elle de l’échantillon? Tous les chercheurs qui ont rempli le questionnaire «proviennent d’organisations universitaires ou non gouvernementales». Les fonctionnaires gouvernementaux n’ont pas participé à ce travail. L’on peut donc s’interroger sur la représentativité de l’échantillon et pluer encore sur le niveau d’information qu’ont ces «chercheurs». Ce qui amène un autre sujet : la fermeture du monde universitaire sur ce qui l’entoure.

Il se pourrait que les résultats portent sur la fermeture des chercheurs interrogés aux choses déjà disponibles.

Les pays qui rendent le plus accessibles leurs documents budgétaires sont la France, les Etats-Unis (et leur sacro saint Free Information Act), le Royaume-Uni (qui accorde autant d’importance aux méthodes de débats qu’aux débats), la Slovénie, et l’Afrique du Sud.
Si dans l’idéologie américaine de l’«Open Budget» (budget transparent ou budget démocratique) la société civile est encouragée à intervenir et jouer le rôle de contrôleur spontané (comme dans l’esprit de l’INDH), en France on en sauterait au plafond. La vision française prône un intérêt général et supérieur à tous les autres qui le composent. Plus à l’Ouest, on pense que l’intérêt général est un mythe tyrannique. Pour les Américains, l’intérêt général se définit en laissant s’exprimer les intérêts particuliers.

Check and balance

Les visions française et anglo-saxonne s’opposent.
Du mythe de l’intérêt général français, le pragmatisme anglosaxon «check and balance» (contrôle et équilibre) tranche. C’est-à-dire qu’au lieu d’ériger l’intérêt général comme un intérêt supérieur aux intérêts qui le composent, les Américains estiment que c’est en laissant s’exprimer les intérêts de chacun (qui entrent en conflit) que l’intérêt général se définit. C’est ensuite à l’Etat d’arbitrer au mieux parmi ces intérêts. L’initiative relative au budget ouvert est dans cet esprit.

Si je n’ouvre pas les yeux…


Ce sont donc des universitaires et des militants associatifs qui ont répondu au questionnaire de l’IBP. Ce sont leurs perceptions de la transparence des budgets face aux citoyens qui est mesurée et non pas l’ouverture en elle-même. De plus, le chercheur universitaire moyen appartient à un monde qui s’est refermé sur lui-même. Les universitaires publient très rarement, s’intéressent peu à ce qui dépassent les frontières de leur université, et marchent à l’ancienneté pour protéger leur «stabilité». En somme, «si je n’ouvre pas les yeux, il n’y a donc pas de lumière».

Ce qui est mesuré


Le questionnaire du budget ouvert, 122 questions à choix multiples, « a pour but d’offrir une vision indépendante, non gouvernementale, de l’état de la transparence budgétaire dans les pays étudiés ».

Le questionnaire considère :
- Disponibilité du document budgétaire : Année budgétaire des documents utilisés pour remplir le questionnaire, liens Internet pour les documents budgétaires essentiels, distribution des documents liés au projet de budget de l’exécutif, distribution du budget adopté et des autres rapports. Sur ce plan, le Royaume joue le jeu et met en ligne ses rapports économiques et financiers.

- Le projet de budget de l’exécutif : estimations pour l’année budgétaire et au-delà, estimations pour les années antérieures à l’année budgétaire, exhaustivité, la justification du budget et la surveillance des réalisations.
A part la surveillance des réalisations, que le Maroc et sa Cour de comptes ne savent pas faire de manière probante, le Royaume fait toujours un travail de projection budgétaire et réajuste les estimations (les sites du Haut Commissariat au Plan, le ministère des Finances, l’Office des Changes).
Cela dit, les ajustements en cours d’années ne se font pas d’une manière formelle et transparente, et n’expliquent pas toujours le raisonnement du gouvernement.

- Le processus budgétaire : formulation du budget par l’exécutif, approbation législative du budget, mise en œuvre du budget par l’exécutif, le rapport de fin d’année de l’exécutif et de la Cour des comptes.

Source : L'Economiste