Economie: Coopératives féminines d'argan : Débat passionné et passionnant à Agadir

Posté par: Visiteursur 19-10-2012 21:13:17 996 lectures Assurément, ce fut une gageure pour les organisateurs de prévoir une table ronde sur «L'action coopérative féminine dans le domaine de l'argan», à Agadir, au moment où le match Maroc-Mozambique battait son plein à Marrakech, à moins de 200 km de distance.

Pour une gageure, cette rencontre le fut, ne serait-ce que par la qualité des intervenants, mais des intervenantes surtout qui, le temps d'une soirée de débat aussi passionné que passionnant, ont livré «jusqu'à la lie» les maux d'un secteur, avec ses attentes et ses brulures d'interrogations.


«Nous en avons marre des réunionnites et des diagnostics. J'en viens à ne plus supporter la discussion autour de l'argan ou tout autre chaque fois que je rentre, gavée chez moi, à la suite d'une énième réunion sur les problèmes du secteur. Nous ne demandons ni charité ni subvention gratuite de quiconque, nous exigeons des solutions concrètes à des problèmes dont nous sommes les seules à ingurgiter l'amertume au quotidien», s'est emballée Mme Khadija, la trentaine à peine, une dirigeante d'une coopérative d'argan.

Devant pareil cri de cœur, où amertume du constat et profondeur du propos s'entremêlent dans une implacable rhétorique, l'assistance, n'étant pas restée de marbre en applaudissant longuement l'intervenante, devait quelque part rendre l'écho d'autres préoccupations qui planent sur nombre de produits de terroirs nationaux, dont le safran de Taliouine, entre autres.

Sa collègue Bouchra, d'une autre coopérative d'argan, n'allait pas tarder à remuer le couteau dans la plaie, en s'interrogeant : «comment voulez-vous que l'on respecte les normes de qualité, qu'on renouvelle nos machines, qu'on tienne tête à la concurrence des grandes firmes qui font main basse sur le secteur, qu'on paie les émoluments de nos adhérentes déjà exsangues, alors même que les spéculateurs se livrent à un dumping où l'huile d'argan est vendue à moins de 150 DH le litre??».

Vieux de 25 millions d'années d'existence aux abords des crêtes du Haut Atlas, l'arganier plonge ses racines indifféremment dans les espaces pierreux ou sablonneux, comme pour tenir tête à la chaleur torride du climat et à l'avancée inexorable du désert.

L'arbre n'est pas avide d'eau, car un tant soit peu lui suffit pour produire, au début du mois d'août, entre 30 et 50 kg de fruit, l'équivalent d'un litre d'huile d'argan, ce que d'aucuns surnomment désormais «l'or liquide marocain».

Pour virulents «car trop sincères», selon certains, ces deux témoignages interviennent en réaction à une série d'interventions d'acteurs associatifs et institutionnels sur les différents aspects de la coopérative féminine d'argan, dans le cadre d'une table-ronde organisée par le Conseil régional des droits de l'Homme- Agadir et le Centre de recherche et de formation de la femme arabe «Cawtar», en collaboration avec la délégation régionale Souss Massa Drâa de l'Odeco, sous le signe «Pour le soutien du commerce équitable dans le domaine de la production de l'argan».

A ce propos précisément, le délégué régional de l'Odeco, Mohamed Mahfoudhi a indiqué que cette région comptait, à fin septembre, 1091 coopératives, dont 693 dans le domaine agricole (le premier rang à l'échelle nationale), sachant que l'arganier s'y taille 154 coopératives avec 4425 adhérents et un chiffre d'affaires de 694.500 dh.

Il a fait état d'une certaine «tiédeur» depuis la création, en 1996, de la première coopérative d'arganier, évoquant à cet effet une série de quatre contraintes majeures à l'origine de l'inefficience des intervenants, en l'occurrence l'extension de la forêt de l'arganier, la lutte contre l'analphabétisme, l'organisation des filières de promotion et de commercialisation et l'agrégation des coopératives sous forme de fédérations.

Le même constat est partagé par le président du Réseau marocain de l'économie sociale et solidaire Ahmed Aït Haddoute, qui a souligné l'impératif d'alternatives innovantes pour «immuniser les coopératives contre les intrus et les intermédiaires», relevant la détermination du Réseau à lancer des formations, avec des partenaires étrangers, au profit des gestionnaires et chargés de la commercialisation des produits du terroir nationaux, dont l'argan.

Toutefois, cette hypertrophie du nombre des coopératives d'argan s'accommode mal de leur efficacité sur le terrain, nuance de son cô_té le président de l'Association marocaine de l'indication géographique de l'huile d'argan (Amigha), membre de l'Organisation du réseau international des indications géographiques basée à Genève, Mohamed Ouraïss.

Et pour cause, explique-t-il, nombre de ces structures sont devenues des «sources de rente ou basées sur des filiations familiales», qui font peu de cas de l'intérêt que porte désormais le marché international à l'argan, «tant et si bien qu'entre 200 à 300 entreprises, rien que dans l'Union européenne, convoitent désormais ce produit et ses dérivés».

Ouraiss, également président de la Fédération interprofessionnelle marocaine de la filière d'argan (Fimigrane) et vice-président de la Chambre agricole régionale, a estimé que «l'argan ne devrait pas faire l'objet d'un commerce équitable, car il concerne un patrimoine national qui interpelle le secteur coopératif pour davantage d'agrégation en vue d'assurer une intégration complète de la femme ouvrière dans le processus de production dans la perspective de barrer la route aux intermédiaires locaux et étrangers, qui sont les grands bénéficiaires de la plus-value».

Mais comme l'arganier, surnommé aussi «l'arbre de la vie», fait aussi office de dernier retranchement inexpugnable contre l'avancée de la désertification qui menace les plaines centrales et septentrionales du pays, le Maroc n'a eu de cesse d'intensifier les efforts pour protéger cet arbre-symbole profondément enraciné dans la terre et la culture du Souss.

Et pour ce faire, les autorités compétentes ont établi un contrat-programme pour la filière d'argan 2010-2020, visant entre autres la mise à niveau de 200 mille ha de forêts, la création de plantations modernes de cet arbuste sur 5.000 ha, la promotion de la recherche scientifique concernée par ce produit, l'augmentation de la production de l'huile d'argan pour atteindre, en 2020, l'équivalent de 10 mille tonnes/an (contre 4000 tonnes/an actuellement), et la mise en place de projets visant la valorisation et l'intégration efficiente des produits de l'arganier.

C'est précisément dans cette perspective que le représentant de l'Agence nationale de développement des zones oasiennes et de l'arganier ( Andoza) Mohamed Oulamou est intervenu pour éclairer l'assistance sur les actions entreprises par cette structure, créée il y a près d'un an, notamment à travers le lancement d'une série de «projets intégrés ayant concerné, jusqu'à ce jour, des communes rurales de Taliouine, Chtouka Aït Baha, Essaouira et Tiznit».

Le même responsable a indiqué que ces projets vont du soutien des infrastructures de base comme les routes, la scolarité et la santé, à la sensibilisation à l'environnement, en passant par le raccordement au réseau électrique et l'approvisionnement en eau potable.

Sur les 251 communes concernées par le champ d'action de l'Agence, 62 ont été desservies jusqu'ici, soit un taux de réalisation de 25% de la superficie cible, a-t-il noté, tout en se félicitant de l'appui accordé à cet effet par le Fonds du développement agricole, en vue de «financer les projets à caractère prioritaire».

Or, l'intervention du représentant de l'ONG «Migration et développement» Abderrazak Hajri est venue rappeler à l'assistance que la thématique du «commerce équitable» s'inscrit dans une mouvance mondiale visant à protéger les petits agriculteurs, pourvu que ceux-ci observent l'éthique et les idéaux de la justice sociale, avant d'interroger les coopératives nationales sur leur capacité de respecter les conditions de travail des salariés, la non-exploitation des enfants, le souci de l'environnement

Sur la même lancée, le représentant du RARBA (Réseau des associations de la réserve de biosphère arganeraie) Miloud Azerhoune a mis l'accent sur l'impératif d'imprimer plus de célérité aux actions coopératives «quoiqu'elles aient rajeuni en si peu de temps leurs structures et renouvelé leurs méthodes de travail», particulièrement au regard des menaces qui pèsent désormais sur cet environnement vital qu'est l'arganeraie, avec une perte annuelle de 600 hectares de forêt.

Qu'à cela ne tienne, mais pour le président du Réseau de développement rural (RDTR) Hassan Outaleb, la région de Souss Massa Drâa, forte de sa vocation touristique internationalement ancrée, ne manquera pas de subjuguer ses visiteurs par ses curiosités enfouies pourvu qu'elle sache mieux les promouvoir.

Il n'en veut pour preuve que l'amélioration de l'attractivité de l'argan et de ses dérivés à travers une optimisation du produit, l'exploitation optimale des NTIC et de l'Internet pour explorer de nouvelles niches et la valorisation du domaine de l'arganier dans les circuits touristiques, sachant que, assure-t-il sur un ton de connaisseur, «le meilleur présent à offrir à un visiteur étranger est un pur produit de l'huile d'argan».

Dans l'entretemps, l'arganier, cet arbre mythique lié à l'homme dans ses dimensions anthropologiques, sociales, culturelles ou existentielles, est promis à continuer à s'agripper, sans livrer le moindre signe d'essoufflement, pour donner à la région du Souss son identité ancrée et au Maroc son enracinement typique et universel.

MAP